lundi 18 février 2008

Lettre ouverte au Président de la République

Monsieur le Président, 

Nous ne sommes pas la France, nous ne sommes pas des victimes, nous ne sommes pas des puissants, nous ne sommes que des citoyens, jeunes de surcroît. Des opinions et des engagements partisans, nous en avons, mais là n’est pas la question.

Depuis neuf mois que le suffrage universel vous a porté à l’Élysée, vous avez souhaité marquer la direction de l’Exécutif d’une empreinte nouvelle, ce qui a semble-t-il séduit nombre de français. Hélas, la nouveauté n’est pas une fin en soi, la rupture n’est pas à elle seule un programme et le progrès ne se décrète pas.

  Dire que nous sommes fiers d’être français n’a pas de sens dans la mesure où nous n’avons eu qu’à naître pour obtenir cette nationalité que beaucoup envient. Toutefois, nous aimons profondément notre pays, pour ce que nous avons appris à connaître de lui, de son histoire, de son présent, et plus généralement de sa culture, que nous savons riche. Et cela, nous l’avons appris sans vous. Mais s’il n’est pas de fierté que nous puissions revendiquer de manière sensée, c’est bien de honte que nous sommes frappés lorsque, au fil des semaines, vous confondez votre réussite personnelle et l’intérêt général. 

Lorsque, par complaisance, vous épousez les thèses de vos homologues internationaux, qu’ils soient chefs d’Etat ou dignitaire religieux, souvent en contrepartie de contrats qui n’ont de valeur certaine que celle du papier qui en porte les clauses ; lorsque, avec arrogance, vous multipliez les signes d’une amitié feinte avec des chefs d’Etat qui n’en souhaitent pas tant ou au contraire, donnez à certains peuples l’impression du mépris ; lorsque vous tentez une diplomatie faite de coups d’éclat, c’est l’image d’une France impuissante que vous renvoyez. 

Lorsque vous utilisez votre image personnelle et celle de vos proches collaborateurs, puis confondez votre vie privée et l’exercice de vos fonctions, comme autant de leviers pour qu’un événement médiatique en chasse un autre, c’est la question essentielle de la politique que vous éludez. 

Enfin, nul n’est besoin pour vous de chercher à simuler une proximité avec les français ou une simplicité faite d’humour déplacé et d’un langage appauvri. Agir ainsi ne rapproche pas un Président du peuple qui l’a élu, surtout s’il s’en écarte par ailleurs en s’exposant sous un jour habituellement propre à ceux qui ne savent user de leur richesse qu’avec indécence. 

Nous ne pouvons nous satisfaire de votre empressement et de votre agitation, car les mesures d’urgence ne sont les meilleures que lorsque toutes les autres ont été épuisées. Nous accepterions volontiers que notre avenir ne dépende pas de politiques décidées dans l’instant, mais d’actions réfléchies. Or, s’il n’est pas en votre pouvoir de reconstruire une opposition parlementaire digne de ce nom, c’est à vous qu’incombe de laisser agir la représentation nationale et les organes constitués chargés d’assurer les fonctions de l’État, et non des organismes privés ou les maires du palais que sont vos proches conseillers. C’est là en effet la condition sans laquelle il n’est pas de bonnes mesures, ni de solutions durables et nous ne pouvons pas accepter que vos lois n’aient pour espérance de vie que la durée de votre mandat.

Monsieur le Président, peut-être verrez-vous dans ces lignes l’expression d’une « pensée unique », mal suprême semble-t-il qui, invoqué par vous, permet de balayer d’un revers de main, et sans appel, tout propos qui ne correspondrait pas à vos attentes. Certes, vous ne manquerez pas d’opposer à nos simples propos l’action censée vous caractériser et à nos mots soignés ceux de votre vérité. Seulement, nous ne pouvons nous résigner à taire une irritation qui confine à la colère, et nous pousse à assumer cette prétention consistant à vous écrire. Nous craignons que le rabaissement de la fonction présidentielle, clé de voûte de nos institutions, n’entraîne l’affaissement de l’édifice républicain.


Bouvard et Pécuchet

Article publié par Libération (dans une version légèrement écourtée), le mardi 12 février 2008, pages Rebonds